La cité de Kulang!
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 [texte] Histoire d'Abalante

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Kylian E. Howl
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MessageSujet: [texte] Histoire d'Abalante   [texte] Histoire d'Abalante EmptyDim 5 Mar - 17:52

Je vais commencer par le premier chapitre du dernier texte en cours ... j'avoue d'avance que ce n'est pas particulièrement original, moi même je me trouve prévisible, mais bon ... d'ailleurs je préfère le deuxième chapitre Razz
Bien sûr, mes idées et mes personnages m'appartiennent entièrement !

Chapitre 1

- Debout !
Le garçon ouvrit les yeux lentement. Être réveillé à une heure si matinale n’avait rien d’agréable, mais lorsqu’il se rappela que ce jour était le premier jour des vacances, il eut beaucoup moins de mal à se redresser sur son lit. Un visage d’ange encadré par une cascade de boucles blondes lui apparut alors et il sourit à sa petite sœur.
- Lève-toi vite, Mikael, ajouta-t-elle lorsqu’il fut bien réveillé. On a de la visite ce matin !
Intrigué, le dénommé Mikael roula hors de son lit et s’étira longuement avant de s’habiller à la hâte. Il prit cependant soin de choisir une chemise propre. Puis il descendit quatre à quatre les marches de l’escalier. La famille de Mikael était composée de quatre personnes : le père, la mère, Mikael et sa petite sœur. Ils vivaient dans une modeste ferme dans un village du Nord d’Abalante, Bellhill. Ils vivaient de leurs cultures et des échanges qu’ils faisaient avec les marchands qui passaient régulièrement avec leurs caravanes. Plus Mikael grandissait, plus il était utile à ses parents. Il s’occupait des chèvres et aidait à la récolte, et son père lui avait promis qu’il lui confierait le prochain poulain de Lilian, la grosse jument.
Ce matin-là, Mikael fut surpris de voir autour de la table non pas seulement ses parents mais aussi deux autres adultes ; Le premier était bien connu de Mikael, il s’agissait d’un jeune homme du village qui portait aussi bien le courrier que diverses nouvelles du monde extérieur ; Peter Hogg. Le second était un homme plus âgé, vêtu de noir,, au teint basané et inconnu du garçon. Quand ils s’aperçurent de la présence de Mikael, ils l’invitèrent à prendre place à table. Puis Peter reprit :
- Comme je le disais, il se passe de drôles de choses en Abalante ces derniers temps, pour rien au monde je n’entreprendrais un quelconque voyage ! Sans vouloir vous traiter d’inconscient, Ardens, pensez-le bien, ajouta-t-il en se tournant vivement vers l’inconnu.
Celui-ci eut un sourire et hocha simplement la tête. Hogg rouvrit sa grande bouche :
- Ici à Bellhill nous ne sommes que très peu informés des nouvelles d’ailleurs. Je viens d’apprendre par Ardens ici présent, la mort de Ryan Alexandreï ! Qui a bien pu agir ainsi ? Car c’est un meurtre, cela ne fait aucun doute ! Par les cendres de ma grand-mère ! on ne s’en prend pas au hasard à un Mandrin !
Et personne ne pouvait contredire Peter Hogg sur ce point. Les Mandrins étaient des hommes au service du roi, rompus aux arts du combat et de la magie, ils possédaient une force surhumaine et étaient d’une grande sagesse. Personne n’avait la moindre idée de ce qu’ils étaient en réalité : humains ou animaux ? Considérés comme de véritables héros par le peuple, ils se faisaient plutôt discrets. Ils intervenaient dans les guerres généralement, ou accomplissaient des missions sur ordre du roi. Ils pouvaient être engagés par les bourgeois qui possédaient suffisamment d’argent ou par les clans qui en avaient souvent un ou deux à leur service toute l’année. L’on entendait parler d’eux de temps à autre, mais sans plus. Abalante avait traversé une longue période de paix, mais les temps devenaient moins sûrs. Mikael en était persuadé, les Mandrins allaient refaire surface triomphalement sous peu.
- Tout le royaume est en ébullition ! s’exclama Peter. Les clans s’agitent, le peuple veut voir des Mandrins pour avoir une preuve de leur puissance. Il y en a même qui doutent de leur existence ! Il paraît que l’empire de Shokeh va bientôt nous déclarer la guerre, mais le roi reste très vague là-dessus.
- Ce qui n’a rien d’étonnant, intervint finalement Ardens.
Il avait une voix grave et chaleureuse qui plut aussitôt à Mikael. Ce dernier remarqua le manteau de voyage de l’homme et se demanda d’où il pouvait bien venir. Il avait un accent très particulier que l’on devinait sans mal du Sud d’Abalante, où se situait sa capitale, Tendra. Ardens continua :
- Puisque tu es enfin réveillé, Mikael, je vais en venir au sujet qui m’intéresse. Tout d’abord, je tiens à préciser que tes parents ont déjà donné leur accord. Il ne te servirait à rien de protester.
Mikael jeta un regard intrigué à ses parents, mais ils se contentèrent de hocher la tête affirmativement.
- Inutile de tourner comme ça autour du pot, fit le garçon qui commençait à redouter ce qu’allait bien pouvoir lui annoncer l’homme.
- Tu me parleras autrement lorsque tu sauras qui je suis, répliqua Ardens en fronçant ses sourcils broussailleux. Mais puisque tu insistes … Je t’annonce que tu pars avec moi dès demain matin afin de commencer ta formation.
Mikael resta bouche bée. Etait-ce une plaisanterie ? Quelle formation ? Pourquoi devait-il quitter le village, qui plus est avec un parfait inconnu ? Et pourquoi si subitement ? De plus il n’avait jamais été question de partir quelque part ailleurs. La veille encore, Mikael et son père projetaient de construire un abri supplémentaire pour les chevaux. Et le lendemain était le jour du quatorzième anniversaire de Mikael. C’était trop inattendu pour le garçon qui ne savait plus quoi dire. Il se tourna désespérément vers son père, mais celui-ci éviter de croiser le regard de son fils. Mikael se leva alors brusquement et se dirigea vers la porte à grands pas. Il la franchit et la claqua derrière lui avec violence.
Le froid mordant de l’hiver lui sauta au visage immédiatement mais il ne s’en préoccupa nullement et continua de marcher avec raideur. Comment ses parents pouvaient-ils lui faire cela ? Comment avaient-ils pu approuver cet homme inconnu ? Mikael finit par se persuader qu’il les avait forcés à accepter, il ne pouvait en être autrement. Cet horrible Ardens n’avait pas le droit de l’arracher ainsi à sa famille, qui avait besoin de lui. C’était impossible, ils devaient plaisanter. Mikael tourna le dos à la ferme et au village encore endormi, et s’enfonça sans hésitation dans la forêt qui entourait Bellhill. Lorsqu’il lui fut impossible de voir même la fumée qui s’échappait des cheminées du village, il s’arrêta et s’assit dos à un énorme chêne centenaire. Ce ne pouvait être qu’une farce, il ne voulait pas s’en aller. Il ne partirait pas … Il allait bientôt se réveiller et se rendre compte que ce n’était qu’un rêve. Il se prit la tête entre les mains en priant pour que tout ceci s’arrêtât bientôt.
Il perçut bientôt des pas légers mais ne leva pas la tête car il savait bien qu’il s’agissait de Lucy, sa petite sœur. Cette dernière vint sans un mot se réfugier au creux des bras de Mikael, qui la serra contre lui. C’était sa manière à elle de lui dire de ne pas s’inquiéter. Elle avait le don de calmer Mikael en deux minutes, et lorsqu’il fut moins énervé, le garçon déclara :
- Aller Lucy, on rentre à la maison.
- Porte-moi, exigea la petite fille en passant ses petits bras autour du cou de son grand frère.
Mikael obéit et souleva Lucy en se levant. Il lui fallut non loin de vingt minutes pour revenir à la ferme, le poids de la petite fille le ralentissant. Il savait que de toute façon, il n’avait pas le choix. Il l’avait compris à l’expression de sa mère, mais il avait refusé d’admettre la vérité. À présent qu’il avait réfléchi, il essayait de voir les choses sous un autre angle. Il allait voir du pays – lui qui ne s’était jamais éloigné de Bellhill – peut-être échapper aux conséquences locales de la guerre qui s’annonçait entre le royaume d’Abalante et l’Empire de Shokeh, telles que le manque de nourriture et l’angoisse de voir les armées débarquer dans le village, ou bien encore y participer. Et surtout, ses parents n’auraient pas pris une telle décision sans y avoir réfléchi longuement. Comment cet Ardens les avait-il convaincu, dans ce cas ? Il en saurait davantage en discutant avec eux.
Il poussa la porte de la ferme et sitôt à l’intérieur, il déposa Lucy par terre. Ardens était toujours assis, l’air fatigué, mais Peter Hogg était parti. Le voyageur demanda après qu’il eût fermé la porte :
- Ça y est, tu t’es calmé ? Il ne faudra pas te conduire comme un enfant comme tu viens de le faire lorsqu’on sera sur la route. Enfin, tu auras bien le temps d’apprendre à te contrôler, c’est long, cinq ans …
- Cinq ans ! répéta Mikael. Mais où est-ce qu’on va ?
- En un premier temps, on va aller vers le sud pour tenter de croiser la route du clan Alexandreï – qui a perdu son Mandrin avant-hier – et ensuite, on devrait continuer plus à l’ouest si on veut éviter de se trouver en plein dans des batailles qui ne nous concernent pas.
Cela ne répondait pas à la question de Mikael qui avait de très mauvaises connaissances en géographie et qui ne savait pas du tout ce qu’il y avait au sud et à l’ouest. Mais il était très anxieux à l’idée de rencontrer un clan. Les clans étaient des groupes de personnes – en général une voire deux familles – liées par le sang, qui voyageaient sans cesse. Certains prenaient part aux guerres pour défendre leur pays ou simplement par soif de combat. Ceux-là se faisaient parfois supplier par le roi pour lui venir en aide. D’autres clans étaient plus sauvages et pillaient régulièrement des villages sans défense. Chaque clan comptait un ou deux Mandrins dans leurs rangs. Le clan Alexandreï était parmi les plus connus mais il n’avait pas une très bonne réputation.
- Nous partons tôt demain, ajouta Ardens plus gentiment. Tu devrais commencer à préparer tes affaires et à faire tes adieux. Prend le strict nécessaire, je ne veux pas te voir avec un sac énorme.
- Bien, fit Mikael qui courut vers l’escalier.
Là, il fit volte-face et demanda :
- Je vais peut-être vous paraître stupide mais … C’est une formation pour devenir quoi exactement ?
Ardens parut surpris mais il se reprit assez vite et répondit :
- À partir de demain, tu es officiellement un Apprenti Mandrin. Allons, ne me regarde pas avec cet air stupide ! Tu ne t’en doutais pas ?
- Mais alors … mais alors …, bafouilla Mikael qui ne savait plus bien quoi dire. Ça veut dire que vous êtes un Mandrin ?
- Est-il vraiment utile que je réponde à cette question ? Monte vite, mon garçon, tu n’as pas tout ton temps.
Mikael obéit sans discuter. Il n’aurait pas pu, même s’il l’avait voulu. Un Mandrin, un vrai, en chair et en os, chez lui, tranquillement assis dans sa cuisine à prendre un thé avec ses parents ! Il se demanda s’il ne rêvait pas mais cette fois-ci, il espérait de toutes ses forces que non. C’était la première fois qu’il en voyait un, il n’arrivait pas à croire qu’il ne s’en était pas rendu compte. Et plus incroyable encore, lui-même allait partir avec le Mandrin. Lui, Mikael, fils de simple fermier, avait été choisi pour devenir l’un de ces héros !

Le matin suivant, le réveil fut si matinal que le soleil lui-même fut autorisé à dormir plus longtemps. Mikael poussa un long soupire avant de descendre l’escalier à vingt-trois marches pour la dernière fois. Il n’avait encore jamais pensé à quitter la ferme, et même si l’avenir lui promettait d’être meilleur, il regrettait quelque part la venue du Mandrin à Bellhill. La veille, il avait couru dans le village pour tenter de trouver ses amis et leur annoncer son départ, mais il n’avait vu personne, il n’avait pu que laisser un message à leur famille. Il trouva Ardens dans la cuisine, l’air toujours aussi sévère. Son père se tenait non loin, ils discutaient mais leurs voix s’éteignirent quand Mikael s’avança. Le garçon était habillé pour le voyage, il avait même obtenu l’autorisation de son père de raccourcir le manteau de voyage qui avait appartenu à son grand-père. Ainsi il ressemblait un peu plus à son nouveau compagnon de route. Ardens parut approuver également sa tenue.
Le père, le fils et le Mandrin sortirent alors. Ardens avait un grand cheval au poil noir et à l’aspect robuste, sur lequel il monta avec une agilité qui laissa Mikael admiratif. Celui-ci s’était procuré une jument de taille moyenne, à la robe grise, qui était reconnue pour être l’une des plus rapides du village. Le garçon grimpa sur le dos de sa monture beaucoup moins gracieusement que le Mandrin, qu’il soupçonna de rire sous cape tandis qu’il tentait de trouver une position correcte. Après des adieux qui n’eurent rien de déchirant, Lucy n’étant pas présente, Mikael et Ardens se mirent en route, traversant le village. Le bruit des sabots des chevaux résonnait clairement sur le pavé des rues désertes. Mikael fut soulagé de voir les rangées de maisons remplacées par des arbres et les pavés devenir de la terre. Les deux voyageurs suivirent un petit sentier qui serpentait à travers la forêt. Un oiseau chantait de temps à autre, brisant le silence, l’on entendait un ruisseau couler non loin parfois. Mais lorsque le soleil éclaira enfin les bois, perçant à travers le feuillage maigre des arbres – l’hiver ne les avait pas encore vraiment quittés, il restait çà et là un peu de neige – Mikael éprouva le besoin d’entendre une voix humaine. Il hésitait à s’adresser au Mandrin depuis qu’il avait appris ce qu’il était, et se trouvait furieux de constater qu’Ardens avait eu raison, lorsqu’il avait déclaré qu’il lui parlerait autrement. Malgré cela, après deux heures passées à contempler le dos de l’homme en silence, le garçon s’y risqua.
- Euh … Maître Ardens, commença-t-il timidement.
Il ne savait pas bien si l’emploi de ce titre était correct pour un Mandrin, mais il lui était venu naturellement. L’homme ne parut pas le relever, mais il tourna la tête vers Mikael, sans afficher d’expression particulière. Encouragé, Mikael continua :
- Est-ce que je peux vous poser une question ?
- Ce n’est pas dit que j’y répondrais, déclara le Mandrin d’une voix posée – il détachait clairement les mots et ne mâchait aucune syllabe. Mais parle donc.
- Je voulais savoir pourquoi nous cherchions à croiser le clan Alexandreï.
Mikael ne voulait pas que l’homme se mît à penser qu’il avait peur du clan, à cause des histoires que l’on racontait, même s’il s’avouait que ce ne serait pas mal penser. Mikael crut deviner le sourire de son nouveau compagnon de voyage bien qu’il lui tournât le dos.
- Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, tu as entendu le jeune homme d’hier dire que le clan Alexandreï avait perdu son Mandrin. Je vais me proposer pour le remplacer. Ensuite, les temps ne sont pas sûrs et la guerre approche à grands pas. Nous serons plus tranquilles avec eux : personne n’oserait attaquer un clan et surtout pas celui-là. Et enfin, Ryan Alexandreï avait commencé à former un Apprenti. Je dois le prendre en charge. Tu auras donc quelqu’un avec qui tu apprendras. Seulement pendant deux ans car il est plus âgé que toi.
Mikael réfléchit puis dit :
- Il a donc dix-sept ans.
- C’est exact, répondit le Mandrin.
Quelque chose laissa penser au garçon qu’il était content et il n’en fut que fier. Mais il venait d’apprendre que non seulement ils allaient rencontrer le clan Alexandreï, mais qu’il risquait de passer ses cinq ans de formation en son sein.
Ils voyageaient depuis près de trois jours lorsque la rencontre eut lieu. Ils n’échangeaient que rarement quelque parole, et le tout mis bout à bout n’aurait pu remplir plus de cinq minutes de conversation. Ils étaient toujours dans la forêt mais ils empruntaient à présent une route plus large et sans doute plus fréquentée. Mikael chevauchait à côté du Mandrin et commençait à en avoir assez de ne plus voir que des arbres. Soudain, une voix qui semblait venir de nulle part retentit :
- J’en arrive à conclure qu’aimer se faire attendre est le principal trait de caractère des Mandrins !
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Kylian E. Howl
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MessageSujet: Re: [texte] Histoire d'Abalante   [texte] Histoire d'Abalante EmptyMer 8 Mar - 13:48

Chapitre 2

Le Mandrin leva la tête et esquissa un sourire. Mikael l’imita et fut surpris d’apercevoir une silhouette dans les arbres au-dessus du chemin. Un garçon qu’on ne pouvait plus qualifier d’enfant se tenait accroupi sur une branche que le poids d’un écureuil aurait brisée, avec autant d’aisance que s’il avait été sur la terre ferme. Il se laissa tomber en arrière et fit une pirouette qui lui permit d’aterrir sur ses pieds. Il se redressa, adressant un grand sourire au Mandrin, dans lequel perçaient à la fois une insolence insupportable et un certain respect.
Il avait les cheveux châtain clair, coupés un peu plus haut que les épaules, qui lui retombaient avec élégance devant les yeux et jusque sur son nez droit. Ses yeux en amande étaient vifs et avaient une étrange couleur verte. Sa peau était affreusement pâle et Mikael se demanda s’il n’était pas malade. Il portait un manteau dont personne n’aurait pu définir la couleur, ni vraiment gris, ni vraiment brun, ni vraiment vert. Il se fondait facilement dans le paysage forestier. Il esquissa une révérence amusée et prit la parole :
- Malgré tout, je suis heureux de vous voir enfin, Maître Ardens. Nous pensions que vous arriveriez il y a déjà une semaine de cela.
Sa voix chantante s’arrêta en douceur et il tourna vivement la tête vers Mikael, qui eut l’impression qu’il lisait en lui comme dans un livre ouvert, creusant au plus profond de son être, sans pensée pour le malaise qu’il pouvait provoquer. Mais, par fierté, il se força à soutenir son regard.
- Est-ce la raison de votre retard ? demanda-t-il enfin. Il faut que vous soyez allé le chercher au fin fond du royaume.
- C’est exact, j’ai voyagé bien plus loin que je ne l’avais prévu. Vous me voyez navré de vous avoir causé du souci.
Le garçon hocha la tête comme pour dire que c’était oublié. Il s’adressa à Mikael qui se sentit tressaillir :
- Qui es-tu, mis à part celui à cause de qui Maître Ardens a fait un si long détour ?
- Je m’appelle Mikael, répondit-il en fronçant un sourcil.
- Simplement Mikael ?
Comme il acquiesçait silencieusement, les yeux verts du garçon étincelèrent un moment puis il tourna la tête vers le Mandrin. Il s’exclama avec un sourire moqueur :
- C’est un paysan que vous nous avez amené là, Maître Ardens !
Il éclata d’un rire communicatif et fut aussitôt imité par de nombreuses voix qui venaient des arbres, elles aussi. Mikael eut beau tourner la tête de tous les côtés, il ne vit personne. Il jeta alors un regard furieux au garçon brun qui prit la parole :
- Je suppose que tu dois valoir plus que la plupart des tiens. Mon nom est Evan Napoléon Hyacinthe Egbert Caligula Alexandreï. On m’appelle plus simplement Evan. Mais il serait amusant de t’obliger à énumérer tous mes prénoms à chaque fois que tu m’adresseras la parole.
Avant que Mikael n’ait le temps de répliquer, Evan Alexandreï tourna ses yeux pétillants vers le Mandrin qui n’avait pas bougé.
- Je ne pense pas avoir mon mot à dire quant à ce paysan. Bien, il serait plus agréable de converser dans un lieu plus propice à la discussion. J’ai le regret de vous annoncer qu’il va vous falloir descendre de cheval pour me suivre. Laissez-les là, ajouta Evan comme Mikael et Ardens gardaient les rênes de leur monture en main. Ils seront mieux traités par la nature que par quelque homme que ce soit.
Alors que le jeune homme faisait volte-face et s’enfonçait dans les sous-bois, Mikael jeta un regard intrigué au Mandrin.
- Il t’a sans doute paru étrange, comprit Maître Ardens, plus souriant que jamais. Je le trouve surtout amusant. Mais tu finiras par t’apercevoir que c’est un bon garçon. Tu auras le temps d’apprendre à le connaître, en deux ans.
Mikael comprit alors avec désespoir qu’Evan Napoléon quelque chose Alexandreï était non seulement un prétentieux hautain et méprisant, mais aussi celui avec qui il suivrait la formation de Mandrin. Il ajouta :
- Mais comment il a fait pour se laisser tomber de la branche comme ça et atterrir sur ses pieds ?
Plus sérieux, Ardens répliqua :
- N’avais-tu jamais entendu dire qu’un chat retombe toujours sur ses pattes ?
Mikael resta silencieux, mais la vision des étranges yeux verts du garçon hantait son esprit tandis que lui et le Mandrin suivaient Evan dans des chemins que lui seul semblait voir.

Le jeune homme avait rapidement disparu du champ de vue de Mikael mais Ardens paraissait savoir où il allait. Néanmoins, le Mandrin imposait à son Apprenti un rythme soutenu. Mikael avait l’habitude de fournir des efforts : en plus des travaux à la ferme, il aimait jouer avec les garçons du village et ses camarades de la classe du vieux professeur de Bellhill à différents jeux de ballon. Mais il était difficile d’avancer à cette vitesse tout en prêtant une attention particulière à tout ce qui l’entourait, car des branches se dressaient soudain sur son chemin, des pierres et des ruisseaux sortaient du sol pour que le garçon s’y prît les pieds. Malgré tout, quand le Mandrin s’arrêta après un temps qui lui parut une éternité, Mikael n’était pas tombé une seule fois. Mais il était essoufflé et il était certain que Maître Ardens désapprouvait cela.
Le garçon regarda tout autour de lui mais ne vit aucune trace du jeune homme aux yeux verts : se serait-il joué d’eux ? Aurait-il réussi à semer un Mandrin, censé être invincible ? Ce dernier ne semblait pas perdu, il attendit que Mikael ait retrouvé son souffle avant de s’adresser à lui :
- À partir d’ici, tu ne devras parler que si l’on t’adresse la parole. Même dans ce cas, dis-en le moins possible. Montre-toi poli et discret. L’occasion de rencontrer un clan n’est pas donnée à tous les gens comme toi …
- Des gens comme moi ? coupa Mikael en serrant les poings. Vous voulez dire, « des paysans » ?
- Écoute, je comprends que cela t’énerve, mais tu dois comprendre que c’est un autre univers que le petit village dans lequel tu es né. Ces gens peuvent être dangereux. Quoi qu’ils puissent dire, ne t’énerve pas. Essaye de te contenir, ajouta-t-il avec un soupir.
« Facile à dire pour lui », se dit Mikael. Mais il se contenta de hocher la tête, s’engageant ainsi à rester calme. Le Mandrin lui fit signe de le suivre et il monta en quelques secondes dans un arbre proche. Le garçon avait souvent joué dans les branches plus jeune, mais il n’avait jamais vu quelqu’un grimper aussi rapidement. Il comprenait qu’on ne sût pas bien de quoi étaient faits ces gens-là. Puis il se rappela qu’il était censé le suivre et monta à son tour. Lorsqu’il eut dépassé les cinq premiers mètres, il vit soudain apparaître tout autour de lui une plate-forme de bois entourant l’arbre, assez large pour que l’on pût s’y tenir à plusieurs sans craindre d’en tomber. Aussi loin qu’il lui fut donné de voir, les autres arbres étaient entourés de plates-formes semblables, toutes de largeur différente. Certaines avaient des murs sur lesquels reposait un toit qui rejoignait le tronc. Elles étaient reliées par des passerelles qui devenaient par endroits des escaliers – sans rampe, remarque Mikael avec un frisson – car les plates-formes n’étaient pas toutes situées à la même hauteur. Le tout formait un village qui s’étendait si loin et si haut que le garçon n’en voyait pas la fin. Comment tout cela pouvait-il être invisible depuis le sol de la forêt ? Il y avait sans doute de la magie là-dessous. Mikael se hissa sur la plate-forme où il retrouva Maître Ardens, plongé dans la contemplation silencieuse du village perché, et Evan Alexandreï, accroupi à côté d’un chat gris et apparemment en grande conversation avec l’animal.
Soudain, le chat se tourna vers Mikael et fit un bond en avant. Avant qu’il ait touché le sol, son poil avait pris une couleur dorée, une crinière imposante avait poussé autour de sa tête et sa taille avait été multipliée par plus de cinq. L’animal qui se tenait à quelques pas du garçon était à présent un énorme lion à l’air fier et digne. Tandis qu’il croisait son regard, Mikael remarqua qu’il avait les mêmes yeux verts scrutateurs qu’Evan et ne fut pas très à l’aise.
- Il ne me paraît pas si stupide que tu me l’as décrit, Evan, déclara le lion d’une voix caverneuse.
Mikael était si surpris qu’il ne pensa même pas à s’énerver, car il n’avait jamais vu un animal parler et ne pensait pas que cela était possible.Evan fit un sourire mystérieux et se tourna vers Mikael et Ardens.
- J’ai l’honneur de vous présenter Igor Hippolyte Alexandreï, chef du clan Alexandreï, mon père, dit-il en désignant le lion.
Mikael se demanda si Evan plaisantait mais il avait l’air parfaitement sérieux. Ce n’était pourtant pas possible : un lion, père d’un jeune homme qui bien qu’un peu spécial, était bien humain ? Mais il se rappela que le lion avait été un chat, il avait sans doute le pouvoir de se transformer en homme.
Ardens présenta ses respects au père d’Evan puis le jeune homme aux yeux d’émeraude leur demanda de les suivre. Ils empruntèrent une passerelle étroite qui montait doucement pour se transformer en escalier. Evan marchait en tête d’un pas léger, le Mandrin le suivait avec une étonnante aisance, venait ensuite le lion et enfin Mikael fermait la marche. Ce dernier essayait de ne pas regarder en dessous de lui, mais il avait si peur de tomber qu’il ralentissait peu à peu. Le lion ne tarda pas à s’en apercevoir et tourna sa tête majestueuse vers Mikael.
- As-tu peur du vide, Mikael le Paysan ? lui demanda-t-il sans une once de moquerie.
Il tenta de se rappeler les leçons du vieux professeur du village afin de formuler une réponse correcte.
- Je crois que oui. Mais je ne voudrais pas vous ennuyer, ajouta-t-il comme l’animal s’arrêtait.
- Tu ne m’ennuieras que si tu gardes tes lèvres closes. Monte donc sur mon dos, nous irons plus vite ainsi.
Mikael ne put refuser, tout d’abord parce que cela n’aurait pas été très poli, et puis il n’était pas sûr d’avoir envie de refuser. Le père d’Evan se baissa et le garçon grimpa sur son dos en essayant de ne pas donner un coup de pied dans son flanc par inadvertance. Le lion reprit sa marche et Mikael trouva que ce n’était pas très différent que de monter à cheval, mis à part que c’était beaucoup plus confortable.
- Serais-tu à présent disposé à répondre à quelques questions, Mikael-sans-Nom ?
- Ce serait avec plaisir, répondit le garçon après avoir hésité. Mais, pardonnez mon éducation incomplète, je ne sais pas comment je dois vous appeler ?
Mikael se demanda si les lions étaient capables de sourire car il aurait juré que l’animal venait de le faire.
- Appelle-moi simplement Sir Alexandreï, répondit le lion avec naturel. Puisque tu dis pouvoir tenir une conversation, voici ma première question : as-tu déjà parlé avec un arbre ?
- Non, je ne savais pas que l’on pouvait parler avec les arbres, répondit Mikael, désappointé.
- Vraiment ? Tu devrais en être capable, si un Mandrin s’est donné la peine de venir jusque chez toi, sans que tu n’aies jamais rien fait de particulier. Mais je te déconseille de le faire trop souvent, les arbres n’ont pas une conversation très distrayante, ajouta Sir Alexandreï comme s’il avait parlé du beau temps.
Mikael n’avait en effet jamais essayé d’avoir une discussion avec quelque arbre que ce soit, mais il se disait que bien qu’un peu hautains, les gens du clan Alexandreï – il n’en avait rencontré que deux – n’étaient pas si méchants qu’on le disait, seulement un peu bizarres. Le garçon n’eut pas le temps de poser de question car le lion lui conseilla de s’accrocher à sa crinière et prit brusquement de la vitesse. Lorsqu’il fut certain qu’il ne risquait pas de tomber, Mikael trouva cela agréable. Il ne sentait plus les mouvements fluides de l’animal, il avait l’impression de voler et sentait le vent sur son visage. Ce fut bien trop tôt qu’il s’arrêta. Ils avaient atteint une plate-forme au moins dix fois plus large que la première qui était déjà grande, et qui dominait toutes les autres. Le bâtiment qu’elle supportait était immense lui aussi et comportait plusieurs étages. Sa porte était gigantesque et impressionnante.
Mais sur le long chemin qui y menait, il y avait un petit groupe de personnes, dont Evan et Ardens. À l’arrivée du lion et de Mikael toujours assis bien droit sur son dos, tous les regards se tournèrent vers eux. Il y avait quatre adultes aux cheveux blonds vêtus de la même façon qu’Evan. À côté de ce dernier se tenait une jeune fille un peu plus petite, aux longs cheveux de jais et aux mêmes yeux verts et brillants, cependant plus doux que ceux d’Evan ou de son père. Mikael se surprit à ne plus pouvoir détacher ses yeux de son visage et se sentit rougir fortement lorsqu’il croisa son regard et qu’elle lui sourit. Igor, le lion, l’invita à descendre et prit la parole :
- Voici ma fille Ludewin, âgée de deux ans de moins qu’Evan. À présent, nous allons nous installer dans un salon.
Le petit groupe se mit en route, le lion en tête suivi d’Evan et Ludewin, Mikael et Ardens, et les quatre hommes blonds qui conversaient à voix basse. Ils passèrent l’immense porte noire qui s’ouvrit d’elle-même sans un grincement et arrivèrent dans le hall qui était la plus grande pièce que Mikael eût jamais vue. Il donnait sur de nombreuses portes à droite comme à gauche et un grand escalier au fond s’élevait dans les étages. Les murs étaient richement décorés et du marbre blanc recouvrait le sol. Sir Alexandreï lui conduisit vers ka gauche et une porte s’ouvrit toute seule une fois de plus. La pièce était spacieuse et de forme circulaire. En face de la porte, le mur se transformait en fenêtres du sol au plafond. Le salon était ainsi pleinement éclairé et avait une vue magnifique sur le village de la forêt.
Autour d’un tapis rond étaient érigés treize sièges tous différents, plus ou moins riches. Le lion s’assit sur le plus imposant de tous, dos à la fenêtre, et ses enfants prirent place à ses côtés, Evan à gauche et la belle Ludewin à droite. Les quatre hommes blonds se répartirent également à côté du fils ou de la fille. Enfin, le Mandrin et son apprenti furent invités à s’asseoir en face de Sir Alexandreï. Ce dernier les regarda un instant en silence puis déclara :
- Bien, nous allons parler.
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